Rapport des coprésidents

Consultations budgétaires 2025

by
Theo Argitis – Premier vice-président, Politiques , Conseil canadien des affaires
Serge Dupont – Conseiller principal et chef des affaires publiques, Bennett Jones LLP
\

Introduction

En prévision du budget fédéral important de l’automne, le Conseil canadien des affaires (CCA) a mené une vaste consultation sur l’avenir de la politique budgétaire du pays. Dans l’ensemble, les conclusions offrent un aperçu complet de la façon dont les principaux acteurs économiques du Canada perçoivent l’état des finances publiques fédérales, le rôle des ancrages budgétaires, l’équilibre entre investissement et restriction, et les mesures nécessaires pour rétablir la crédibilité de la gestion budgétaire.

Les consultations ont été coprésidées par Theo Argitis, premier vice-président des politiques au CCA, et Serge Dupont, conseiller principal et chef du groupe des politiques publiques à Bennett Jones. Le processus a permis de recueillir les avis de plus de 50 chefs d’entreprise du pays et de près de 20 économistes, investisseurs et anciens hauts fonctionnaires réputés, grâce à un questionnaire détaillé destiné aux experts et à une série d’entretiens approfondis.

En résumé, les consultations préconisent une gestion budgétaire axée sur la croissance, fondée sur la discipline et la crédibilité. Cela signifie qu’il faut veiller à ce que le plan budgétaire reste viable et s’attaque aux principaux défis structurels du pays, à savoir la faible productivité et le déclin de l’investissement.

Bien que les participants aient exprimé des points de vue très divers, leurs commentaires convergent vers les principes clés suivants :

Un point de départ difficile.

La situation budgétaire du Canada est fragile, mais ne constitue pas une crise. Les parties prenantes s’accordent à dire que les déficits structurels sont bien ancrés, que les coûts d’intérêt augmentent et que les pressions à long terme sur les dépenses — de la défense aux soins de santé — s’intensifient. Elles conviennent également que le Canada bénéficie toujours de la confiance des marchés et conserve une capacité budgétaire, mais que sa crédibilité s’est érodée ces dernières années et ne peut être considérée comme acquise. La demande principale est celle d’un cadre budgétaire clair, crédible et transparent.

Un plan crédible

Bien que les « bons » points d’ancrage et les « bonnes » cibles pour orienter la politique budgétaire fassent l’objet de nombreux débats, un consensus plus large se dégage autour des principes suivants. Le gouvernement fédéral devrait :

1. Adopter un tableau de bord de mesures et de lignes directrices qui montre une trajectoire durable à moyen terme, même dans des conditions extrêmes. Aucun point d’ancrage unique ne permet de dresser un tableau complet de la situation budgétaire. Pour la plupart, « viable » signifie une approche de « maîtrise et de réduction » du déficit et de la dette du Canada.

2. Veiller à ce que les garde-fous soient pratiques du point de vue des opérations gouvernementales et se traduisent par des contraintes réelles.

3. Concevoir un cadre financier qui favorise la croissance et soutient l’investissement, tant public que privé.

4. Veiller à ce que les points d’ancrage ne soient pas facilement abandonnés et que le cadre soit contraignant pour le gouvernement. C’est là que se joue la crédibilité.

Le message pur et simple d’un « budget équilibré » ne fait plus l’unanimité comme autrefois. De nombreux répondants soutiennent les investissements ciblés et initiaux ainsi que les efforts du gouvernement visant à réduire les risques liés aux grands projets. Il existe un large consensus sur le fait que, dans le cadre d’une réforme fiscale plus large, les impôts sur l’investissement devraient être réduits afin d’attirer les capitaux. Les emprunts publics destinés à des investissements essentiels générant un rendement économique peuvent être approuvés sans compromettre la réputation de prudence du Canada.

Parallèlement, un plan budgétaire crédible et viable est essentiel pour maintenir la confiance des investisseurs dans l’économie. Un plan budgétaire doit non seulement empêcher toute nouvelle détérioration à long terme, mais aussi réparer les dommages causés ces dernières années.

Tout nouveau financement du déficit doit être accompagné d’une condition essentielle : les fonds empruntés doivent être exclusivement consacrés à des initiatives visant à stimuler l’économie, telles que l’infrastructure commerciale, la modernisation de la défense et les initiatives qui favorisent l’investissement dans l’économie. Les emprunts destinés à financer des dépenses discrétionnaires supplémentaires ne sont pas tolérés.

La proposition visant à séparer officiellement le budget en comptes de « dépenses de fonctionnement » et « dépenses en capital » compte quelques défenseurs. Mais la majorité la considère comme susceptible d’abus. Si le gouvernement adopte une séparation entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses en capital, il doit publier des définitions claires et des mécanismes d’application qui empêchent le reclassement ou les manœuvres politiques.

La meilleure façon d’établir sa crédibilité est d’être clair sur les compromis et de définir une trajectoire de consolidation à moyen terme qui est facilement compréhensible et applicable par les ministres et la fonction publique.

Un tableau de bord, non un seul point d’ancrage

Il existe une demande écrasante, quasi unanime, en faveur de points d’ancrage budgétaires crédibles afin d’instaurer une discipline politique. Les points d’ancrage sont reconnus pour leur capacité à signaler la discipline, à structurer les compromis au sein du gouvernement et à communiquer l’orientation budgétaire aux marchés et au public.

Cependant, tant les membres du CCA que les experts rejettent les règles simplistes, privilégiant fortement une approche de tableau de bord qui offre une vue d’ensemble de la santé budgétaire, plutôt que de juger un budget sur la base d’un seul point d’ancrage budgétaire. Les membres ont nettement préféré une combinaison de règles plutôt qu’une règle unique fondée sur un indicateur individuel.

Certaines mesures, comme le ratio dette/PIB, sont des indicateurs clés de la viabilité à moyen terme, mais ne constituent pas des contraintes efficaces au quotidien. Ce qui importe le plus pour la discipline au sein du gouvernement, ce sont les règles qui influencent les décisions sur une période d’un à deux ans.

Des cadres bien conçus associeraient un point d’ancrage de viabilité à long terme (comme la baisse du ratio dette brute/PIB) à des règles opérationnelles (comme un plafond des dépenses ou une cible de réduction du déficit), tout en surveillant les indicateurs d’alerte précoce (tels que les ratios intérêts/recettes ou intérêts/PIB).

D’autres règles pratiques avec une responsabilité claire comprennent :

  • La publication et le respect de trajectoires de réduction absolue du déficit, avec des réductions importantes à moyen terme.
  • Le maintien de la croissance des dépenses de programme en dessous du PIB nominal à moyen terme.
  • L’obligation de financer de manière permanente toute nouvelle dépense permanente par des économies ou des recettes compensatoires.
  • Le recours à l’emprunt uniquement pour des initiatives visant à accroître la productivité, y compris dans le domaine de la défense, lorsque les projets présentent un rendement stratégique ou économique clair.

L’histoire montre que les objectifs fermes fonctionnent mieux à court terme. Afin de maîtriser les finances du Canada au milieu des années 1990, Paul Martin a adopté des horizons de deux ans pour ses objectifs budgétaires fermes, notamment en s’engageant dans son premier budget de 1994 à réduire de moitié le déficit en pourcentage du PIB d’ici 1996. Lors du sommet du G20 à Toronto en 2010, juste après la récession mondiale, le premier ministre Stephen Harper a incité un groupe d’économies avancées à s’engager à réduire de moitié leurs déficits sur trois ans.

Si la dette nette est souvent citée par le gouvernement comme son indicateur préféré, la dette brute mérite également une attention particulière. Les emprunts destinés à l’investissement augmentent la dette brute, et c’est cette dernière qui doit être financée sur le marché, puis remboursée. Les investissements financés par la dette doivent générer un rendement positif afin de ne pas peser sur les générations futures de contribuables.

Réformes structurelles

Il existe un large consensus sur le fait que la voie vers la viabilité à long terme passe par une réforme structurelle en profondeur.

Cela implique un examen immédiat et rigoureux des programmes et un mandat clair en faveur d’une réforme fiscale globale visant à simplifier le code des impôts et à alléger la charge budgétaire pesant sur les investissements. Il n’y a pas de voie vers la viabilité budgétaire si le Canada ne résout pas ses défis de croissance.

L’examen des programmes devrait s’inspirer de celui mené dans les années 1990, en se fondant sur le principe fondamental selon lequel il convient de déterminer si le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans tous les domaines où il intervient actuellement. Il existe un large consensus sur le fait que le déficit est également le symptôme d’un problème plus vaste : un gouvernement fédéral devenu trop important et inefficace, qui s’est étendu au-delà de ses fonctions de base. Pour soutenir un secteur privé dynamique, le gouvernement doit limiter son empreinte et revenir aux principes fondamentaux pour justifier ses interventions. Cela obligera également à faire des compromis politiques plus explicites. Les transferts aux particuliers et aux autres ordres de gouvernement ne devraient pas être exclus d’un examen.

Presque tous les économistes et cadres interrogés estiment qu’une réforme fiscale est nécessaire pour simplifier le système, supprimer les crédits ultraciblés et alléger la charge pesant sur les investissements afin d’encourager la formation de capital.

Le Canada aura également besoin d’un taux d’épargne national robuste pour financer son investissement dans un contexte mondial plus contraignant où les capitaux pourraient être plus difficiles à trouver. Certains répondants suggèrent d’adopter des objectifs de croissance ou d’investissement à l’échelle de l’économie comme instruments de responsabilisation ambitieux, afin de maintenir l’attention sur les résultats et de renforcer une approche axée sur l’investissement.


Méthodologie de l’enquête

Nous avons mené la consultation du 4 août au 24 septembre.

Nous avons combiné (i) une enquête structurée auprès d’économistes, d’experts en politique, d’anciens hauts fonctionnaires et de professionnels du marché ; (ii) des entretiens semi-structurés avec bon nombre de ces mêmes experts (certains uniquement sous forme d’entretiens) ; (iii) une enquête plus courte auprès des membres du CCA ; et (iv) des entretiens de suivi avec certains membres du CCA.

Nous avons reçu les réponses de 18 experts.

Leurs réponses ont été réparties en groupes qui se chevauchent :

  • Ceux qui mettent l’accent sur la discipline, les points d’ancrage applicables et les risques liés à l’exécution au sein du gouvernement.
  • Ceux qui acceptent des déficits mesurés à court terme s’il existe un plan crédible à moyen terme.
  • Ceux qui ont mis l’accent sur la compétitivité, l’architecture fiscale, le poids réglementaire ; considèrent les déficits comme des symptômes.57 membres du Conseil canadien des affaires ont répondu à une enquête distincte sur la viabilité. Leurs points de vue ont été intégrés dans le présent rapport.

Pourquoi cette consultation, pourquoi maintenant

Le CCA défend depuis longtemps une gestion budgétaire saine, fondée sur la discipline en matière de dépenses, des points d’ancrage crédibles et un engagement à équilibrer les budgets au fil du temps. Mais le paysage politique est en pleine mutation.

Le protectionnisme mondial et le nationalisme économique remodèlent le monde qui nous entoure et mettent à l’épreuve la souveraineté et la résilience du Canada. Nos relations de commerce avec les États-Unis sont instables. Les gouvernements du monde entier sont confrontés à de nouveaux impératifs, notamment en matière de sécurité nationale et de concurrence croissante pour les capitaux privés.

De nombreux pays, dont les États-Unis, utilisent de manière agressive les leviers financiers pour obtenir un avantage concurrentiel sur les autres. Le premier ministre Mark Carney a clairement indiqué qu’il avait lui aussi l’intention d’utiliser le bilan de la nation pour soutenir la croissance et favoriser l’investissement, et a fait savoir qu’il prévoyait de maintenir indéfiniment les déficits structurels à cette fin.

Compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous vivons et de la voie que le gouvernement semble vouloir emprunter, nous avons estimé que le moment était venu d’évaluer dans quelle mesure notre propre position sur la question devait évoluer en conséquence.

L’objectif du CCA est pratique et ciblé : identifier les conditions budgétaires optimales pour stimuler l’investissement, renforcer notre résilience et maximiser notre prospérité économique.

Fondamentalement, nous croyons que la meilleure façon d’y parvenir est de libérer les investissements et l’esprit d’entreprise du secteur privé.

Et nous ne pouvons pas simplement emprunter pour parvenir à une relance économique par investissement. Le Canada doit protéger l’environnement macroéconomique pour l’investissement, et ce, selon des règles acceptées par les marchés.

Sans une politique budgétaire crédible, les taux d’intérêt augmenteront dans toute l’économie et entraveront l’activité privée, ce qui aura pour effet pervers de réduire la marge de manœuvre budgétaire au moment même où elle est le plus nécessaire. Et n’oublions pas que les gouvernements confrontés à des défis budgétaires sont également plus enclins à augmenter les impôts, ce qui constitue une source d’incertitude pour les entreprises.

Mais nous reconnaissons également que, dans certains cas, il peut être judicieux d’utiliser le bilan du gouvernement pour soutenir la croissance. Par exemple, les investissements directs dans les infrastructures facilitant le commerce (ports, chemins de fer, extension du réseau électrique, réseaux d’approvisionnement en eau et réseaux numériques) peuvent stimuler la productivité et avoir des retombées positives qui augmentent le rendement des projets privés. Et le pays a absolument besoin d’une baisse des impôts sur les investissements et le capital.

Nous tenons à remercier les dirigeants et les experts qui ont contribué à ce processus, notamment :

Randall Bartlett, Groupe Desjardins
Paul Beaudry, UBC
Ed Devlin, Devlin Capital
David Dodge, ancien gouverneur de la Banque du Canada
Don Drummond, Université Queen’s
Simon Kennedy, sous-ministre de l’Industrie (à la retraite)
Kevin Page, IFDP
Jean-François Perrault, Banque Scotia
Doug Porter, BMO
Lawrence Schembri, Institut Fraser
Avery Shenfeld, CIBC
Sean Speer, The Hub
Andrew Spence, Spence Strategic Consulting
Trevor Tombe, Université de Calgary
Carolyn Wilkins, Université de Princeton.

Certaines personnes ont participé à condition de rester anonymes.